Elizabeth Askren has been invited to conduct Benjamin Britten's "Turn of the Screw" at the Dijon Opera. Prior to the performances (February 26, 28 and March 2), Elizabeth had an insightful talk with Louis Geisler from Opéra de Dijon about this extraordinary work. The interview was conducted in French, but an English translation is also available below.
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FR
Le labyrinthe de Britten : ambiguïté, déclinaisons et dualité
Entretien avec Elizabeth Askren
L'article a été réalisé pour l'Opéra de Dijon
Vous parlez un français parfait. Quels sont vos liens avec la France et la culture française ?
J’aime dire que j’ai épousé la France! Je suis née et j’ai grandi à New York où j’ai fait adolescente mes premières classes de jeune musicienne à la Juilliard School. Ma famille paternelle a une relation ancienne avec la langue française. Elle compte trois générations qui ont passé du temps en Afrique du Nord et en Syrie sous protectorat français, dans une région appartenant aujourd’hui au Liban. Mon père lui-même est bilingue : il a grandit entrele Maroc et les États-Unis. Je suis venue à Paris en 1998 pour suivre l’enseignement des pianistes italiens Sergio Perticarolli et Germaine Tocatlian. Je les avais rencontrés à l’Académie d’été de la Mozarteum à Salzbourg. Ils formaient alors le meilleur tandem d’enseignement au monde. J’avais obtenu une bourse d’étude pour une année seulement mais je suis tombée amoureuse du pays, de la langue et du sérieux de l’enseignement musical, notamment de la direction d’orchestre.
Vous êtes familière des œuvres de Benjamin Britten. Vous avez récemment dirigez Le Songe d’une nuit d’été. Le Tour d’écrou est le huitième des quinze opéras qu’il a composé durant sa carrière. Quelle place occupe-t-il dans son œuvre ?
C’est une question importante mais à laquelle il est très difficile de répondre car chaque œuvre de Britten est extraordinaire. Elles sont toutes éminemment personnelles, savamment forgées et uniques – certains compositeurs aiment appliquer une même formule éprouvée, en changement simplement l’histoire racontée. Britten est un maître de l’orchestration. Le Tour d’écrou fait appel à un orchestre réduit qui joue comme un ensemble de musique de chambre : chaque instrumentiste est un soliste. C’est l’un des paradoxes de cette œuvre. Celle-ci est construite autour d’un thème musical symbolisant le tour de l’écrou qui se resserre inexorablement. Qu’est-ce qui est le plus important dans cette métaphore? La personne qui est représentée par l’écrou? Ou la personne qui le visse? Tous les personnages possèdent cette dualité: ils sont manipulés ou imprégnés par quelqu’un au second plan. C’est une œuvre fascinante à bien des égards qui reste volontairement dans le flou, conformément au roman de Henry James. Le spectateur ne doit jamais être complètement sûr de ce qui se passe: on lui suggère des choses au lieu de les lui montrer. C’est la terreur pure, celle produite par notre imagination !
Comme vous le soulignez, l’adaptation musicale de cette nouvelle fantastique de Henry James est un travail à la fois audacieux et complexe. Lors d’une conférence publique à Aix-en-Provence en 1960, le compositeur Francis Poulenc déclara à propos du Tour d’écrou : « L’art du livret est perdu. Alors, si l’on a pas le génie théâtral de Britten, qui sait trouver un livret ou le susciter, c’est très difficile ». Parlez-nous du sens théâtral de Britten.
Britten est un maître du temps, doublé d’un excellent narrateur. Il est important de se rappeler qu’il a énormément composé pour la radio. Prenez par exemple King Arthur : il utilise le basson pour faire entendre aux enfants les ronflements de Merlin l’enchanteur et toutes sortes d’astuces pour symboliser la magie de la forêt. Comme Claude Debussy, il aime jouer avec le temps. Il est capable par sa musique de ralentir le temps, le suspendre ou l’accélérer. Il avait rarement recours à un grand orchestre symphonique. Il préférait les ensembles de quelques musiciens. Cette contrainte le poussait à exploiter pleinement toutes les ressources expressives de chaque instrument à sa disposition, plutôt que de se reposer sur la beauté innée d’un orchestre symphonique.
Les thèmes de l’enfance, du trouble, de l’innocence perdue ou encore du rêve présents dans Le Tour d’écrou sont récurrents dans les œuvres de Britten.
Britten était profondément honnête dans ses œuvres et s’y livrait complètement, un peu comme Dmitri Chostakovitch ou Woody Allen dans ses films. C’est, en ce sens, un compositeur symboliste. Il fait partie de ces artistes contraints de taire un secret pour différentes raisons mais qui arrivent à le révéler de manière indirecte, en le transfigurant par l’art – on ne peut pas regarder le soleil en face, mais on perçoit sa présence par les ombres dessinées au sol. Britten parle de lui-même de cette manière détournée dans ses œuvres. On retrouve par exemple dans Peter Grimes et Mort à Venise son attirance pour la mer et les paysages dans lesquels l’eau et le ciel se confondent dans un même camaïeu de bleus et de gris, comme à Snape Maltings, sur la côte du Suffolk, où il a vécu durant les années 1930 avant d’y implanter le Festival d’Aldeburgh. La tension du Tour d’écrou atteint son apogée lors du dialogue des spectres, absent de l’œuvre originale d’Henry James, qui ouvre le second acte. Peter Quint et Miss Jessel évoquent l’innocence bafouée en reprenant le sixième vers de The Second Coming du poète irlandais William Butler Yeats : « The ceremony of innocence is drowned » [Le traducteur Yves Bonnefoy propose la traduction poétique suivante : « On noie les saints élans de l’Innocence. »]. Ces mots sont très puissants et soulèvent beaucoup de questions. Qu’est-ce que l’innocence ? Que perd le jeune garçon en grandissant ?
Cela renvoie à la notion de « seuil » : le seuil entre deux mondes, entre deux âges, entre le sacré et le profane, entre l’innocence et la connaissance. On retrouve cette idée de passage notamment dans Le Songe d’une nuit d’été et Mort à Venise.
L’adolescence est chez Britten ce point précis où cesse l’innocence. Nous avons à chaque fois affaire à des innocents livrés à eux-mêmes, comme des proies sans protection. Dans Le Tour d’écrou, les parents de Miles et Flora sont morts de manière inexpliquée et leur oncle se désintéresse de leur sort.
Dans Le Songe d’une nuit d’été, la reine des fées Titania et le roi des elfes Obéron se disputent la garde d’un jeune page qui s’avère être le fils d’un roi indien enlevé à la naissance. Comme dans Le Tour d’écrou, il s’agit d’esprits surnaturels qui veulent exercer leur emprise sur un enfant.
Absolument. D’ailleurs, Britten utilise la même note, le mi bémol, pour caractériser la magie d’Obéron qui s’insinue dans les esprits et l’ombre de Peter Quint.
Que symbolise selon vous cette note pour Britten ?
C’est peut-être une « clé-portail ». Elle convient aussi parfaitement à la tessiture de son compagnon, Peter Pears, qui a créé tous les grands rôles de ténor de ses opéras. Pour Mozart, le mi bémol était une clé maçonnique. Elle est très présente dans La Flûte enchantée. Faut-il y voir un hasard ou un choix intentionnel? Il est impossible de répondre à cette question, mais je trouve cependant intéressant de constater l’existence de ces corrélations possibles.
Britten a composé rapidement Le Tour d’écrou. Sa partition suit un plan très rigoureux et construit, guidé par les seize scènes du livret écrit par Myfanwy Piper. Pouvez-vous nous le présenter ?
Britten a composé une partition d’une grande finesse. C’est un chef-d’œuvre de haute-couture ! On pourrait en résumer le principe par un seul mot: «déclinaison». La dualité des personnages se décline dans la structure, le texte et l’harmonie de l’opéra. Ses seize scènes sont réparties entre deux actes d’égale durée. Chacune débute par une déclinaison spécifique du thème symbolisant le tour d’écrou. Elles suivent un chemin harmonique très rigoureux. L’opéra commence par des tonalités sans altération puis, à la fin du premier acte, le la bémol fait son apparition avec les fantômes. Ce choix est délibéré: Britten utilise les tonalités pour différencier le monde réel et le monde surnaturel des esprits. Comme le Yin et le Yang, ils sont à la fois opposés et complémentaires.
Vous évoquiez le thème de l’écrou dont les variations ouvrent chaque scène de l’opéra. Quel est sa signification ?
On trouve au XXe siècle une fascination pour le rythme mécanique, très précis et incessant des grosses machines industrielles qui font parfois penser à des monstres. Un écrou, au contraire, est une toute petite pièce que l’on peut visser et dévisser manuellement. Il peut symboliser beaucoup de choses: nous-mêmes, notre cerveau, une simple pensée qui devient obsessionnelle…
L’écrou que l’on visse ou dévisse peut aussi évoquer un sabotage.
Absolument. En anglais, on utilise l’expression to have a loose screw (littéralement : « avoir un écrou desserré ») pour parler d’une personne mentalement dérangée. Dans certaines interprétations de l’histoire, la gouvernante perd pied avec la réalité et finit par tuer Miles. Notre spectacle n’explore pas cette théorie mais c’est une approche intéressante.
Le Tour d’écrou frappe par son économie de moyens : avec moins de vingt instruments, Britten arrive à tisser cette atmosphère d’« inquiétante étrangeté » propre à la nouvelle de Henry James. On image que Britten a choisi avec attention chaque instrument et attribué à certains des fonctions particulières.
Britten a menée une vie assez isolée et avait peu d’amis. Les instruments étaient en quelque sorte ses animaux de compagnie! Il les connaissait par cœur. Dans Le Tour d’écrou, certains instruments comme le célesta sont associés à l’idée d’ensorcellement ou d’emprise. La flûte et le hautbois sont naturellement utilisés au premier acte pour figurer des oiseaux. Mais Britten a également recours à des instruments plus inattendus comme la flûte alto et la clarinette basse qui donnent une couleur inquiétante ou bien créent une impression de vide. Il détourne l’utilisation traditionnelle de la contrebasse ou encore du violon dont le son peut devenir effrayant. Il joue avec nos attentes pour nous perdre dans son labyrinthe.
La partition du Tour d’écrou compte sept rôles pour six chanteurs. Britten a choisi des voix appartenant uniquement au registre aigu – la voix la plus grave est celle du ténor qui interprète Peter Quint et le Narrateur. Comment interprétez-vous ce choix ?
J’y vois une fascination pour l’ambiguïté. C’est comme une déclinaison, encore une fois, de la même couleur dans un camaïeu. Il manque seulement un contre-ténor. Ces voix appartiennent au même monde vocal. Tous les personnages sont liés les uns aux autres: la Gouvernante avec Peter Quint, Miss Jessel avec Flora. Ces connexions évoluent : la Gouvernante et Miss Grose sont aussi provisoirement sous l’emprise des enfants. Une même tessiture permet d’avoir un fil conducteur. Je vois également dans ce choix un refus de toute profondeur, pour rester dans un monde éthéré. La voix aigüe de Miles renvoie à l’idée d’une d’innocence précédant la mue et la puberté. Dans un certain sens, Peter Quint, avec sa voix de ténor, n’a peut-être pas totalement achevé sa transformation: il est peut-être resté en partie prisonnier d’une innocence bafouée. On est encore une fois dans l’ambiguïté et Britten n’hésite pas à aller contre les habitudes d’écoute et troubler nos repères, en imposant par exemple une voix un peu plus basse sur une voix un peu plus haute.
Pouvez-vous nous expliquer la manière dont Britten caractérise ou personnifie les parties vocales des ses personnages ?
Peter Quint a des vocalises sinueuses. Les mélismes autour de sa note principale se composent la plupart du temps de demi-tons. L’intervalle de seconde mineure est très important dans cet opéra: il est notamment associé au passage du monde réel au monde spectral.
Les enfants Miles et Flora ont quant à eux des mélodies simples, évoquant le chant grégorien, et interprètent également des comptines traditionnelles.
L’innocence brisée est au cœur de cet opéra. Mais avant de briser l’innocence, encore faut-il la représenter. La simplicité des lignes vocales des personnages enfants permet d’établir cette innocence première. Elle répond aussi à une question pratique: Miles est chanté par un garçon et certains spectacles ou enregistrements font le choix d’une Flora réellement plus jeune que lui – Britten préférait le recours aux voix d’enfants, dès que cela était possible, mais le rôle de Flora est complexe et dérangeant: il vaut mieux le confier à une jeune femme capable d’incarner une petite fille. Les chansons populaires donnent une authenticité à leur monde et rappellent des souvenirs d’enfance à certains spectateurs, comme un reflexe de Pavlov!
Ces chansons traditionnelles sont-elles si ancrées dans le monde anglo-saxon ?
En partie, oui. Lavender’s Blue est une comptine attachée à l’époque victorienne: elle est un peu désuète aujourd’hui. En revanche, j’ai souvent entendu durant mon enfance Tom, Tom, The Piper’s Son. Il n’est pas nécessaire de connaître ces chansons pour en apprécier la signification mais lorsque c’est le cas on admire d’autant plus la profondeur et la subtilité de Britten.
Britten a dirigé la création du Tour d’écrou à Venise en 1954 avant de l’enregistrer quelques mois plus tard avec la même distribution. Est-ce que son exécution a une influence sur votre propre interprétation de sa partition ?
Quelque soit l’opéra, je commence toujours par travailler sur la réduction piano-chant de la partition. Je m’intéresse d’abord au texte – prima le parole! – puis à la manière dont ces paroles sont sublimées par la musique, avant d’analyser la structure de la partition. J’applique les recommandations de Schönberg: pour appréhender l’architecture d’une œuvre, il ne faut pas se perdre tout de suite dans son orchestration. Il faut comprendre le dessin initial, en saisir tous les contours, avant de s’intéresser aux pinceaux et aux couleurs choisis par le compositeur. Une fois que tout ce travail est fini, on peut bien sûr consulter les enregistrements disponibles. Mais les compositeurs ne sont pas toujours de bons chefs d’orchestre ou manquent parfois de recul sur leurs œuvres à peine achevées. Ces enregistrements sont toujours intéressants mais ils ne sont pas parole d’évangile!
Propos recueillis par Louis Geisler, janvier 2023
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ENG
Britten's Labyrinth: ambiguity, variations and duality
Interview with Elizabeth Askren
This article was produced for the Dijon Opera
You speak French perfectly. What are your connections with France and French culture?
I love saying that I actually married France! I was born and raised in New York where I started my studies as a young musician at the Juilliard School. My paternal family has an deep relationship with the French language. Three generations have spent time in North Africa and Syria under French protectorate, in a region that today belongs to Lebanon. My father himself is bilingual: he grew up between Morocco and the United States. I came to Paris in 1998 to continue my studies with Italian pianists Sergio Perticaroli and Germaine Tocatlian. I had met them at the Mozarteum Summer Academy in Salzburg. They formed the best teaching tandem in the world. I got a scholarship for only one year but I fell in love with the country, the language and the seriousness of its musical education, in particular in orchestral conducting.
You are familiar with the works of Benjamin Britten. You recently conducted A Midsummer Night's Dream. The Turn of the Screw is the eighth of the fifteen operas he composed during his career. What place does it occupy in his work?
This is an important question but also very difficult to answer because each work is extraordinary. They are all eminently personal, skillfully crafted and unique – some composers like to apply the same formula that works for them and simply change the story that is being told. Britten is a master in orchestration. The Turn of the Screw uses a small orchestra which plays like a chamber music ensemble: each instrumentalist is a soloist. This is one of the paradoxes of this work. This is built around a musical theme symbolizing the turn of the screw which is inexorably tightening. What is most important in this metaphor? The person who is represented by the screw? Or the one who is manipulating the tool? All the characters have this duality: they are manipulated or invaded by someone in the background. It is a fascinating work in many ways, and it remains deliberately vague in keeping with the novel by Henry James. The audience must never be completely sure of what is happening: things are suggested instead of just being shown. It is pure terror, produced by our imagination!
As you pointed out, the musical adaptation of this fantastic short story by Henry James is a work that is both daring and complex. During a public lecture in Aix-en-Provence in 1960, the composer Francis Poulenc said about The Turn of the Screw: “The art of the libretto is lost. So, if you don't have the theatrical genius of Britten, who knows how to find a libretto or create it, it's very difficult". Tell us about Britten's theatrical flair.
Britten is a master of time, coupled with excellent narrating skills. It is important to remember that he composed a lot of works for the radio. Take for example King Arthur: he uses the bassoon to make children hear the snores of Merlin the wizard and all sorts of other tricks to symbolize the magic of the forest. Like Claude Debussy, he likes to play with time. He is able through his music to slow down time, suspend it or speed it up. He rarely used a large symphony orchestra. He preferred ensembles of a few musicians. This constraint pushed him to fully harness all the expressive features of each instrument at his disposal, rather than relying on the innate beauty of a symphony orchestra.
The themes of childhood, trouble, lost innocence or even dreams present in The Turn of the Screw are recurrent in Britten's works.
Britten was deeply honest in his works and completely indulged in it, much like Dmitri Shostakovich or Woody Allen in his films. He is, in this sense, a Symbolist composer. He is one of those artists forced to hide a secret for different reasons but who manages to reveal it indirectly, by transfiguring it through art – you cannot look directly at the sun, but you perceive its presence through the shadows drawn on the ground. In his works, Britten speaks about himself in this indirect manner. We find for example in Peter Grimes and Death in Venice his attraction for the sea and the landscapes in which water and sky merge in the same shades of blue and grey, like in Snape Maltings, on the Suffolk coast, where he lived during the 1930s before setting up the Aldeburgh Festival there. The tension of the Turn of the Screw reaches its peak during the dialogue of the ghosts, absent from the original work by Henry James, which opens the second act. Peter Quint and Miss Jessel evoke scorned innocence by taking up the sixth line of The Second Coming by the Irish poet William Butler Yeats: “The ceremony of innocence is drowned”. These words are very powerful and raise many questions. What is innocence? What does the young boy lose as he grows up?
This refers to the notion of the “threshold”: the threshold between two worlds, between two ages, between the sacred and the profane, between innocence and knowledge. We find this idea of passage particularly in A Midsummer Night's Dream and Death in Venice.
Adolescence is for Britten this precise point where innocence ceases to exist. His works always deal with innocent people left to fend for themselves, like unprotected prey. In The Turn of the Screw, Miles and Flora's parents have died inexplicably and their uncle is uninterested in their fate.
In A Midsummer Night's Dream, Titania, the queen of the fairies, and Oberon, the king of the elves, fight over the custody of a young page who turns out to be the son of an Indian king abducted at birth. As in The Turn of the Screw, it is about supernatural spirits who want to exert their influence on a child.
Absolutely. Moreover, Britten uses the same note, E flat, to characterize the magic of Oberon which insinuates itself into the spirits and shadow of Peter Quint.
What do you think this note symbolizes for Britten?
It may be a musical "portal key". It is also perfectly suited to the vocal range of his companion, Peter Pears, who created all the great tenor roles in his operas. For Mozart, E flat was a Masonic key. It is very present in The Magic Flute. Should we see it as a coincidence or an intentional choice? It is impossible to answer this question, but nevertheless I find it interesting to note the existence of these possible correlations.
Britten composed The Turn of the Screw quite quickly. Its score follows a very rigorous and constructed plan, guided by the sixteen scenes of the libretto written by Myfanwy Piper. Can you tell us more about this?
Britten has composed a score of great finesse. It is a masterpiece of haute couture! We could summarize the principle with a single word: “fortspinning”. The duality of the characters is fully explored in the structure, the text, and the harmony of the opera. Its sixteen scenes are divided between two acts of equal length. Each begins with a specific declension of the theme symbolizing the turn of the screw. They follow a very rigorous harmonic path. The opera begins with unaltered keys and then, at the end of the first act, A flat makes its appearance with the phantoms. This choice is deliberate: Britten uses the tones to differentiate between the real world and the supernatural world of spirits. Like Yin and Yang, they are both opposite and complementary.
You evoked the theme of the screw whose variations open each scene of the opera. What is its meaning?
In the 20th century, there is a fascination for the very precise and unceasing mechanical rhythm of large industrial machines that sometimes makes one think of monsters. A screw, on the contrary, is a very small part that can be screwed and unscrewed manually. It can symbolize many things: ourselves, our brain, a simple thought that becomes obsessive...
The screw that is screwed or unscrewed can also evoke sabotage.
Absolutely. In English, we use the expression to have a screw loose to speak of a person who is mentally unstable. In some interpretations of the story, the governess loses her touch with reality and ends up killing Miles. Our production does not explore this theory, but it is an interesting approach.
The Turn of the Screw is striking for its economy of means: with less than twenty instruments, Britten manages to weave this atmosphere of "disturbing strangeness" specific to Henry James' short stories. We can imagine that Britten has carefully chosen each instrument and attributed it to particular functions.
Britten led a fairly isolated life and had few friends. The instruments were in a way his menagerie of beloved companions! He knew them all intimately. In The Turn of the Screw, certain instruments such as the celesta are associated with the idea of bewitchment or influence. The flute and the oboe are used in the first act to represent birds. But Britten also uses more unexpected instruments such as the alto flute and the bass clarinet which give a disturbing color or create an impression of emptiness. He diverts the traditional use of the double bass or the violin whose sound can become frightening. He plays with our expectations to lose us in his labyrinth.
The score of The Turn of the Screw counts seven roles for six singers. Britten chose voices belonging only to the high register – the lowest voice is that of the tenor who interprets Peter Quint and the Narrator. How do you interpret this choice?
I see a fascination with ambiguity there. It's like a variation, once again, of the same color in a monochrome. All that's missing is a countertenor. These voices belong to the same vocal world. All the characters are linked to each other: the Governess with Peter Quint, Miss Jessel with Flora. These connections evolve: the Governess and Miss Grose are also temporarily under the influence of the children. The same range provides a common thread. I also see in this choice a refusal of any depth, to remain in an ethereal world. Miles' high-pitched voice evokes the idea of an innocence preceding puberty. In a certain sense, Peter Quint, with his tenor voice, may not have completely completed his transformation: he may have remained partly prisoner of a damaged innocence. We are once again in an ambiguous territory: Britten does not hesitate to go against preconceptions and challenge our assumptions, for example by superimposing a slightly lower voice atop a slightly higher voice.
Can you explain to us how Britten characterizes or personifies the vocal parts of his characters?
Peter Quint has sinuous vocals. The melismas around its main note are mostly composed of semitones. The minor second interval is very important in this opera: it is particularly associated with the transition from the real world to the spectral world.
The children, Miles and Flora, have simple melodies, reminiscent of Gregorian chant, and also perform traditional nursery rhymes.
Shattered innocence is at the heart of this opera. But before shattering innocence, one must first construct and display it. The simplicity of the vocal lines of the children establishes this primary innocence. It also answers a practical question: Miles is sung by a boy and certain shows or recordings make the choice of a Flora younger than him. Britten preferred to use the voices of children as young as possible, but the Flora's role is complex and disturbing: it is better to entrust it to a young woman capable of playing a little girl. Traditional songs bring authenticity to the children’s world and bring back childhood memories to some viewers, like a Pavlovian reflex!
Are these traditional songs rooted in the Anglo-Saxon world?
In part, yes. Lavender's Blue is a nursery rhyme tied to the Victorian era: it's a bit outdated today. On the other hand, I often heard during my childhood Tom, Tom, The Piper's Son. You don't have to know these songs to appreciate their meaning, but when you do, you'll admire Britten's depth and subtlety even more.
Britten conducted The Turn of the Screw in Venice in 1954 before recording it a few months later with the same cast. Does its execution have an influence on your own interpretation of its score?
Whatever the opera, I always start by studying the piano-vocal reduction of the full score. I am interested first in the text – prima le parole! – then to the way in which these words are sublimated by the music, before analyzing the structure of the score. I apply Schönberg's recommendations: to understand the architecture of a work, you must not get lost immediately in its orchestration. You must understand the initial drawing, grasp all its contours, before looking at the brushes and colors chosen by the composer. Once all this work is finished, we can of course consult the available recordings. But composers are not always good conductors or sometimes lack perspective on their barely completed works. These recordings are always interesting, but they are not the “gospel truth”!
Interview by Louis Geisler, January 2023
English translation: Stefania Anca Robu